Interview : Florence MATTEI, psychologue du travail au SIST2A
Florence MATTEI est psychologue du travail depuis plus de 10 ans maintenant au sein du Service de Santé au travail de Corse-du-Sud (SIST2A). Basée principalement sur le centre médical d’Ajaccio, elle intervient également sur les secteurs de Baléone, Propriano et Porto-Vecchio. Son cheval de bataille : agir avant que les risques psycho-sociaux n’apparaissent.
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Quel est votre rôle et votre champ d’intervention ?
F.M. : Dans les Services de Santé au Travail, les psychologues du travail ont deux missions. La première est le suivi et l’accompagnement des salariés afin de protéger l’altération de leur santé mentale et de les maintenir en emploi. La deuxième est une mission de conseil vis-à-vis des employeurs. En effet, l’enjeu de notre métier est d’intervenir avant que les situations de travail ne se dégradent, en rencontrant les chefs d’entreprises et les managers qui en ont besoin. Nos interventions auprès des employeurs ou des salariés se font suite à la demande des médecins du travail, qui relèvent une situation à risque au sein des entreprises suivies. Ces interventions peuvent être individuelles (accompagnement et suivi personnalisé du salarié) ou collectives (conseil en prévention des RPS, pré-repérages, sensibilisations, intégration RPS DUER…).
Nous intervenons principalement sur la question des Risques Psycho-Sociaux (RPS) qui représente la plus forte demande, mais nous développons aussi différentes actions relevant de la psychologie du travail : management de la prévention, prévention de l’hyperconnexion au travail qui est de plus en plus prégnante.
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Pouvez-vous nous expliquer ce que sont les Risques Psycho-Sociaux (RPS) au travail et comment vous intervenez sur ces problématiques dans les entreprises ?
F.M. : Les Risques Psycho-Sociaux au travail sont liés à la charge de travail, au rythme de travail (intensité, interruption…) ou encore à l’autonomie que le travailleur possède ou non dans son travail. Sur la question des RPS, ce qui est intéressant en psychologie du travail, c’est la distinction entre le collectif et l’individuel. En général, quand on entend parler de RPS, on a tendance à associer le risque à la psychologie du salarié. Or, même si la personnalité des individus et la prise en compte de leur expérience ou de leur fragilité sont importantes, les RPS sont très fortement liés à une situation de travail, à l’organisation de l’entreprise et aux relations interpersonnelles (employeur-salariés, salariés-salariés, salariés-clients/prestataires…). Et c’est particulièrement sur ces aspects que les psychologues du travail interviennent.
Pour agir sur les RPS, il est d’ailleurs plus efficace d’intervenir en amont au sein des entreprises afin de prévenir la dégradation des relations de travail ou l’apparition du mal-être d’un salarié.
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Vous avez parlé de l’hyperconnexion au travail. Quel est l’impact du numérique sur la santé des salariés et comment pouvez-vous agir en tant que psychologue du travail ?
F.M. : Le numérique a pris une place prépondérante dans l’organisation du travail. Avec le développement du télétravail, les salariés sont de plus en plus « connectés » et les risques d’épuisement professionnel liés à l’hyperconnexion sont de plus en plus présents. L’impact cognitif du numérique sur le travailleur n’est pas neutre et l’on peut traiter l’hyperconnexion comme une addiction. Pour agir en amont sur ces risques, j’interviens principalement auprès des chefs d’entreprise et des managers, afin d’intégrer les risques liés à l’hyperconnexion dans leur plan de prévention. Je travaille également sur ce point en suivi individuel avec les salariés.
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Justement, avec le COVID-19, l’organisation du travail a été fortement impacté avec la mise en place, souvent en urgence, du télétravail. Employeurs et salariés ont dû s’adapter et faire face à l’hyperconnectivité, au confinement, à la perte de repères… Comment les avez-vous accompagnés ?
F.M. : La crise sanitaire a effectivement impacté l’ensemble des entreprises et de leurs salariés qui se sont retrouvés hors du temps et des réalités, à devoir faire face à de nouvelles contraintes (travail à distance, conciliation entre vie-privée et travail, surcharge ou perte d’activités, peur du virus…). Afin d’accompagner tous les travailleurs dans cette situation particulière, le SIST2A a mis en place une cellule de soutien psychologique, sur prescription des médecins du travail. J’ai donc pu assurer, à distance, en téléconsultation, le suivi des employeurs ou des salariés en demande d’informations ou en situation de « détresse psychologique ». Par ailleurs, nous avons réalisé des fiches pratiques et des documents d’information spécifiques à destination des employeurs et des salariés, sur le télétravail par exemple et nous développons d’autres modes de communications pour échanger autour de ces thèmes.
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Pouvez-vous nous donner un exemple de situation liée au COVID-19 sur laquelle vous êtes intervenue ?
F.M. : Actuellement nous accompagnons avec le médecin du travail une entreprise spécialisée dans le service à la personne, dont l’activité a été fortement impactée par le confinement. L’ensemble des salariés sont en télétravail, avec des systèmes d’astreintes. C’est une entreprise qui est touchée par des situations individuelles d’épuisement professionnel. Nous travaillons sous forme d’atelier à limiter l’impact entre la sphère privée et professionnelle.
Nous sensibilisons aussi auprès des commerces sur l’impact des nouveaux modes d’accueil des clients sur les comportements d’incivilités et d’agressivité. Si tout est pensé pour faire face au risque de contagion, il y a peu de mesure pour gérer le stress et l’insatisfaction des clients confrontés aux ruptures de stock, aux temps d’attente plus longs et autres modifications. Il est important de prendre en compte le risque accru d’incivilités dans ce contexte.
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Comment votre métier est-il perçu par les entreprises ?
F.M. : Mon intervention est intégrée plus facilement au sein des grandes entreprises que des TPE-PME car les entreprises de grande taille ont acquis plus facilement une culture de la prévention. Cependant, cela reste assez difficile d’intervenir en tant que psychologue du travail au sein d’une organisation, et surtout d’intervenir au bon moment, c’est-à-dire avant même l’apparition de problèmes. En effet, les psychologues du travail interviennent souvent « trop tard », quand la situation est dégradée et que les RPS sont déjà présents. Nous essayons donc de faire comprendre aux entreprises, peu importe leur taille, la nécessité d’intégrer la prévention dans leur mode de management. C’est pourquoi, nous avons mis en place des actions inter-entreprises dédiées au Management de la prévention, notamment en mettant l’accent sur la psychologie de la prévention et les techniques d’engagement. En 2019, 3 sessions ont été organisées pour les chefs d’entreprises du BTP et 3 autres sessions à destination des employeurs de l’Hôtellerie-Restauration. D’autres actions de ce type sont en train d’être planifiées.